Et si, pour la science et l’avenir, vous vous faisiez scanner le cerveau ?

Analyse

Le docteur Frédéric Ooms. L’homme qui s’infiltre dans le cerveau des entrepreneurs.

Les premiers résultats étaient édifiants : l’observation comparative du cerveau d’entrepreneurs et de managers, à l’IRM et au repos, permettait de confirmer l’intuition du Dr Ooms qui, via son implication dans le monde des startups et de l’investissement, avait remarqué une plus grande adaptabilité aux changements, aux bonnes comme aux mauvaises nouvelles, des entrepreneurs en série.

Mais, comme il nous le confiait en février dernier, “l’étude actuelle ne permet pas encore de dire si c’est inné ou acquis. Ce qu’elle permet de démontrer, c’est qu’il y a effectivement des différences entre le groupe de créateurs en série et le groupe de managers.”

Fort de ce premier succès scientifique, le Dr Frédéric Ooms et son équipe ont obtenu les crédits universitaires leur permettant de pousser (beaucoup) plus loin leurs recherches avec plus de moyens, humains notamment. Entretien.

Les objectifs de l'étude

La Gazette : Quelles sont les questions scientifiques auxquelles vous espérez pouvoir répondre ?

Dr Ooms :

“La première étude menée visait à explorer si l’on pouvait voir des différences entre la connectivité fonctionnelle dans le cerveau des entrepreneurs par rapport à celle des managers via une IRM au repos. On a montré qu’il y avait des différences donc cela soulève beaucoup de nouvelles questions et de nouvelles pistes de recherches.

La première c’est : est-ce que cette adaptabilité est innée ou acquise ? Est-ce que cette forte flexibilité cognitive est quelque chose qui va pousser les gens vers cette carrière là ou est-ce que c’est quelque chose qui se développe avec l’expérience entrepreneuriale ?

L’objectif de l’étude que l’on lance à présent est notamment de s’intéresser à la question des antécédents et, sur la question de l’inné et de l’acquis, de savoir quelle est l’influence de l’expérience entrepreneuriale sur l’adaptabilité.

Il y a aussi une volonté, comme dans toute étude IRM, de pouvoir généraliser et conforter les résultats acquis, c’est ce qu’on appelle la réplication, voir si l’on observe la même chose. Nous allons aussi augmenter considérablement le nombre de participants.

On va chercher à recruter 120 participants, 90 entrepreneurs (contre 23 dans la première étude). Dans les entrepreneurs que l’on va recruter, on va continuer à recruter des entrepreneurs en série, qui ont créé plusieurs business, et également des entrepreneurs qui n’ont créé qu’une fois et qui sont à des stades différents de la création d’entreprise.

On va suivre aussi, mais ça ça sera moins par IRM, de manière longitudinale (sur la durée, ndlr), des entrepreneurs débutants sur une période de quatre ans, pour voir l’influence du parcours sur le développement des compétences et de ses aptitudes.

Alors que la première étude se basait sur l’IRM au repos, on va également faire de l’IRM sous tâches comportementales. Les entrepreneurs participants vont être amenés à réaliser des tâches en manipulant un certain nombre de choses et on va analyser les différences de comportement, que ce soit dans ou en dehors de l’IRM.”

Les participants de l'étude

La Gazette : Tous les participants s’engagent-ils sur 4 ans ?

Dr Ooms :

“Non, seulement un groupe, celui des entrepreneurs débutants, parce qu’il va y avoir des taux d’échecs et d’abandons et on veut voir l’influence du parcours sur une longue période sur des gens qui débutent, qui n’ont jamais créé et se lancent.

Sur les 90 que l’on va scanner, on va comparer des entrepreneurs en série avec des managers, avec ceux qui n’ont entrepris qu’une fois, on va leur faire réaliser des tâches comportementales, on va observer l’activité de leur cerveau de nouveau au repos mais aussi lorsqu’ils réalisent ces tâches.

C’est une étude qui part sur quatre ans, c’est un gros financement de plusieurs de centaines de milliers d’euros.

On est quatre chercheurs à travailler sur le projet dont deux sont à temps plein sur le projet, un chercheur doctorant et une chercheuse post-doctorante, Harry Antony et Marine Le Petit, une Française.

On collabore avec Fabienne Colette, coordinatrice, sur ce projet financé par l’Université et réparti sur deux labos, via un financement qui a pour but de soutenir les recherches innovantes et multidisciplinaires.”

La Gazette : Les entrepreneurs et les managers au scanner, bientôt les investisseurs ?

Dr Ooms :

“Exactement ! Dans encore un autre volet, nous allons bientôt nous intéresser à ce qui influence des décisions d’investissement chez des investisseurs. On a lancé l’étude et on va bientôt lancer le recrutement.

On va chercher à recruter des investisseurs, des business angels, des fonds d’investissement et des personnes impliquées dans le crowdfunding. L’objectif va être d’évaluer l’influence de certains paramètres dans un pitch entrepreneurial sur la décision d’investissement.

On va aussi chercher à recruter des entrepreneurs prêts à partager leur pitch et, en manipulant certains paramètres, on va essayer de voir ce qui influence vraiment la décision d’investissement. Ce sera aussi numérisé avec des techniques de neurosciences, avec notamment des techniques plus portables.

On va essayer de lancer des collaborations avec des incubateurs et des entreprises comme Tudigo où l’on viendra quelques jours avec des techniques comme l’eye-tracking, on va observer les mouvements des yeux de l’investisseurs, on va regarder comment il analyse un pitch, ce qu’il regarde et l’influence.

Nous allons aussi analyser ses émotions, monitorer certains paramètres physiologiques pour essayer de comprendre ce qui influence la décision d’investissement et voir si ce sont des décisions rationnelles ou non.”

Et ensuite ?

La Gazette : Quelles pourraient être les applications concrètes ?

Dr Ooms :

“On ne va pas chercher à définir si telle ou telle personne deviendra ou non un bon entrepreneur. On va voir quelles sont les influences d’un parcours entrepreneurial sur certaines compétences qu’on estime être de plus en plus importantes dans le monde dans lequel on vit.

Avec tout ce qui est en train d’arriver, tant au niveau des crises que de l’arrivée de l’intelligence artificielle, la capacité à être adaptable, à être flexible, à savoir accueillir les bonnes comme les moins bonnes nouvelles, les surprises.

Il s’agira ensuite de pouvoir développer des formations et des parcours qui permettront à tout un chacun de développer ces compétences, notamment par le biais de formations entrepreneuriales.

L’idée est de pouvoir l’adapter partout, car l’entrepreneuriat ne se limite pas à la création de startups mais développe des compétences qui peuvent être utiles partout. Ca peut aussi avoir un impact sur les entreprises qui cherchent à avoir des équipes d’innovation qui soient plus intrapreneuriales.

Si l’on comprend ce qui permet de moduler ce type de comportements importants, on pourra permettre à des entreprises d’être plus résilientes sur la longueur, de former les équipes avec la bonne méthode.”

La Gazette : Quelles seront, selon vous, les faiblesses des conclusions que vous pourrez tirer ? De quoi vous méfiez-vous ?

Dr Ooms :

“Nous faisons surtout attention à ne pas faire de la “pornographie du cerveau” ! Essayer de ne pas faire du “brainwashing”, parce que lorsque l’on dit que l’on a observé quelque chose en imagerie médicale, les gens sont plus attentifs aux résultats que lorsqu’on les obtient via un questionnaire.

Nous allons avoir une grande rigueur scientifique et mettre des garde-fous pour éviter de se tromper et d’avoir des résultats qui ne seront pas reproductibles.

On veut éviter un effet buzz comme ça a pu être le cas avec certaines études en neuro-marketing où l’on va faire croire aux gens qu’il suffit de placer quelqu’un dans une IRM pour comprendre directement pourquoi il achète ou ce qu’il faut faire pour qu’il achète tel produit.

L’autre aspect sur lequel nous allons être très vigilants, c’est le message envoyé : il ne faut pas mettre les entrepreneurs sur un piédestal, penser qu’ils sont des super-héros qui ont des super-compétences que les autres n’ont pas !”

Si vous souhaitez remplir le questionnaire pour participer à la première étape de l’étude, c’est ici : www.entrepreneurmind.uliege.be

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